Aux Gonaïves, le 1er Janvier 1804, les Généraux qui ont signé l'Acte de l'Indépendance d' Haïti, l'ont fait dans des moments de transe et de névrose indescriptibles. La tirade féroce de Boisrond Tonnerre faisait inévitablement écho aux cris meurtris de milliers de marrons qui ont été vidés durant deux siècles de leur sang sous les morsures des bulldogs affamés lancés à leur poursuite. Ces hommes et femmes, qui s'époumonaient vers la liberté d'une Afrique lointaine, s'endormaient sans retour dans leur rêve par une balle dans la tête comme des animaux traqués et stoïques dans les champs, quand ils n'étaient pas trainés vers la plantation pour être fouettés, fixés pour la revente ou pour la pendaison exemplaire. En ce jour éternellement mémorable, ces héros, entourés d'une foule de nouveaux libres, va-nu-pieds en haillons, étaient littéralement transformés, fous de joie. Jean-Jacques Dessalines, que Toussaint surnommait " le Tigre", comme eux survolté dans un incommensurable bonheur, devait être cependant le seul, parmi l'armée et ses pairs délirants, qui remontait le temps et revivait en pensant au voyage d'Afrique, à ses frères et sa famille enchaînés dans la cale, au cours cette longue, longue traversée du négrier. Henri Christophe, né le 6 Octobre 1767, venait de la Guyane. Alexandre Pétion naquit à Port-au-Prince le 2 Avril 1770. François Capois, dit Capois-La-Mort, naquit à Port-de-paix en 1766. Dessalines, originaire de Guinée, né le 20 Septembre 1758 (certains disent au contraire à Cormier au haut du Cap), devait ainsi repenser aussi à la promesse du Spartacus Noir, dont il était le bras droit. A cette vision de ses frères libres et heureux sur leurs propres plantations, il se disait en lui-même : "Et mes frères d'Afrique, n'auront-ils rien" ?
Octobre 1806 : L'Empereur entreprenait une tournée dans le Sud où son programme de redistribution des terres aux nouveaux Citoyens haïtiens était farouchement entravé par des colons et certains haut-gradés de l'armée de Rigaud, nostalgiques de leurs privilèges d'avant la fin de la guerre du Sud gagnée par Toussaint Louverture. Il s'ensuivit le déplorable massacre où environ 7500 colons blancs perdaient la vie. Sur la route du retour, l'Empereur pressentait déjà le drame et les retombées de ce génocide. " Après ce que je viens de faire dans le Sud, supputait-il, si les citoyens ne se soulèvent pas, c'est qu'ils ne sont pas des hommes". A la sortie de Port-au-Prince, il tomba au Pont-Rouge sous les balles assassines de ses soldats qu'il avait conduits à l'Indépendance deux ans plus tôt. Son corps est abandonné et trainé dans la rue déserte. Seule, Défilée "la folle" ensevelit ses restes sur le site. Capois-La-Mort, fidèle à son chef, sera dégradé par Henri Christophe: qui sait pour lui avoir manqué de respect ou avoir pris part au massacre ? " Les épaulettes qu'il avait gagnées sur les champs de bataille et à Vertières lui ont été enlevées". Il retournait à Port-de-Paix quand il périt dans un traquenard le 19 Octobre 1806 sur la route de Limonade au haut du Cap. Le 24 Octobre, on retrouva aussi Boisrond Tonnerre assassiné dans une prison aux Cayes il avait griffonné le premier poème de la Littérature haïtienne sur les murs de son cachot: il se disait " avoir le coeur pur ".
La scission de la République d'Haïti était consommée. Henri Christophe, sacré Roi, maintenait, dans le Nord et l'Artibonite, le néo-esclavagiste et des relations privilégiées avec l' Angleterre et ses colonies de la Caraïbe. Dans l'Ouest et le Sud, les conditions étaient réunies pour le néo-colonialisme français et le laisser-faire d'Alexandre Pétion, nommé Président et surnommé " Papa Bon Kè". Ayant scellé l'union des Noirs et des Mulâtres avec Jean Jacques le Grand, Pétion restera au pouvoir durant quatorze ans il ouvrira le pays vers le Panaméricanisme dans l'aide fournie aux autres combattants de la Région notamment à Simon Bolivar.
Toutefois, sans oublier et absoudre le mal, l'Histoire doit à Dessalines d'être honoré pour le plus grand bien qu'il a fait au plus grand nombre. En plus de la liberté, il est mort pour la justice sociale redevable aux masses des nouveaux libres, ses frères d'Afrique comme il les considérait.
Vive Papa Dessalines! Vive l'Empereur!
Pierre Michel Gérard Charles Octobre 17, 2020.